Commentaire d’un texte de Bergson, extrait de La pensée et le mouvement – Sujet corrigé de philosophie – Niveau Terminale A,C,D,E: Corrigé du texte de Bergson extrait de La pensée et le mouvant
BERGSON, LA PENSEE ET LE MOUVANT.
» Le temps réel échappe aux mathématiques. Son essence étant de passer, aucune de ses parties n’est encore là quand une autre se présente. La superposition de partie à partie en vue de la mesure est donc impossible, inimaginable, inconcevable. Dans le cas du temps, l’idée de superposition impliquerait absurdité, car tout effet de la durée, qui sera superposable à lui-même, et par conséquent mesurable, aura pour essence de ne pas durer. Nous savions bien, depuis nos années de collège, que la durée se mesure par la trajectoire d’un mobile et que le temps mathématique est une ligne ; mais nous n’avions pas encore remarqué que cette opération tranche radicalement sur toutes les autres opérations de mesure, car elle ne s’accomplit pas sur un aspect représentatif de ce qu’on veut mesurer, mais sur quelque chose qui l’exclut. La ligne qu’on mesure est immobile, le temps est mobilité. La ligne est du tout fait, le temps est ce qui se fait et même ce qui fait que tout se fait. Jamais la mesure du temps ne porte sur la durée en tant que durée : on compte seulement un certain nombre d’extrémités d’intervalles ou de moments, i.e., en somme, des arrêts virtuels du temps. Poser qu’un événement se produira au bout d’un temps t, c’est simplement exprimer qu’on aura compté, d’ici là, un nombre t de simultanéité d’un certain genre. Entre les simultanéités, se produira tout ce qu’on voudra. Le temps pourrait s’accélérer énormément, et même infiniment : rien ne serait changé pour le mathématicien, pour le physicien, pour l’astronome. Profonde serait pourtant la différence au regard de la conscience. Ce ne serait plus pour elle, du jour au lendemain, d’une heure à l’heure suivante, la même fatigue d’attendre. De cette attente déterminée, et de sa cause extérieure, la science ne peut tenir compte : même quand elle porte sur le temps qui se déroule ou se déroulera, elle le traite comme s’il s’était déroulé. C’est d’ailleurs fort naturel. Son rôle est de prévoir. Elle extrait et retient du monde matériel ce qui est susceptible de se répéter et de se calculer, par conséquent ce qui ne dure pas. Elle ne fait ainsi qu’appuyer dans la direction du sens commun, lequel est un commencement de science : couramment, quand nous parlons du temps nous pensons à la mesure de la durée, et non pas à la durée même. Mais cette durée que la science élimine, qu’il est difficile de concevoir et d’exprimer, on la sent et on la vit. »
Introduction
- Fil directeur du texte : comment saisir le temps réel ? Par la science ou par la conscience ? I.e. : le temps réel peut-il être saisi par la pensée mathématique, par la science, ou bien fait-il l’objet d’une saisie intérieure à la conscience ?
- Thèse de l’auteur : la science ne peut saisir le temps réel. Le temps réel est durée, donc, seule la conscience, qui vit en durée, peut appréhender le temps réel.
- Structure argumentative du texte. Trois moments : 1) et 2) = argumentation négative et 3) = thèse positive.
- » Le temps réel … pour essence de ne pas durer » : le temps réel échappe aux mathématiques, en raison d’une impossibilité de droit.
- » Nous savions bien … d’un certain genre » : Bergson fait le constat qu’il y a bien mesure du temps par les mathématiques ; toutefois, cette mesure du temps ne concerne pas le temps réel, mais le temps fictif ou symbolique qu’est le temps mathématique. La mesure du temps suppose en effet que le temps soit converti en espace ; la prévision des phénomènes n’est possible elle-même que par cette conversion en espace.
- » Le temps pourrait … la même fatigue d’attendre » : confirmation par une expérience de pensée ; c’est une hypothèse purement théorique (cf. conditionnel) : pour la science, rien ne serait changé si le temps s’accélérait ; mais pour la conscience, tout serait changé.
Commentaire.
- Bergson fait une différenciation entre TEMPs RÉEL et temps mathématique. Le temps n’est pas mesurable.
Forme argumentative : thèse et explicitation de la thèse par idée centrale du concept de temps.
- thèse :
» Le temps réel échappe aux mathématiques «
-annonce que le texte portera sur nature du temps ; c’est une interrogation ontologique, qui portera sur réalité profonde de l’être ; celle-ci déterminera une interrogation épistémologique sur le temps : la question sera de savoir, en conséquence, comment on peut le connaître (par la science ? ou par la conscience ?).
-2 présupposés :
- les mathématiques croient connaître le temps ; or, ces dernières n’y parviennent pas ; du moins, elles ne parviennent pas à saisir le temps réel, véritable (science = victime d’une illusion)
- et : il y a une réalité, une essence du temps (NB : l’essence s’oppose à l’accident : c’est la réalité invariante et profonde d’un être. L’accident, c’est ce qui arrive à l’essence, mais qui ne lui appartient pas. Exemple : que je porte une robe blanche ou rouge, je suis la même personne : c’est un accident).
- Explicitation de cette thèse par analyse du concept même de temps : il est impossible aux mathématiques de saisir le temps réel, étant donné ce qu’est le temps dans son essence.
» Son essence étant de passer, aucune de ses parties n’est encore là quand une autre se présente. La superposition de partie à partie en vue de la mesure est donc impossible, inimaginable, inconcevable. Dans le cas du temps, l’idée de superposition impliquerait absurdité, car tout effet de la durée, qui sera superposable à lui-même, et par conséquent mesurable, aura pour essence de ne pas durer «
- Définition (essentielle) du temps :
Il » passe » : il n’est pas quelque chose de fixe, c’est une succession irréversible de moments ou d’instants, tous différents. Aucun ne vaut l’autre.
- Le temps n’est donc pas mesurable
C’est pour ça que le temps n’est pas mesurable. Mesurer = ce qui est spécifique aux math ; domaine de la quantité ; de la superposition de partie à partie (on rend tout mesurable, i.e., on le transforme en nombre ; tout est équivalent car quand on mesure une chose on la rend homogène …
Cf. montre : tous les instants se valent
Cf. statistiques : ce qui au niveau individuel est propre à chacun, devient au niveau social, quantifiable, pareil…
Mesurer, c’est superposer des choses en disant que l’une vaut pour l’autre, est représentative de l’autre.
- La réalité du temps
- Noter que Bergson dit que c’est le temps lui-même qui passe : il en parle comme d’une substance, d’une chose extérieure à nous, qui est » réelle » ; pas conception idéaliste ou subjective du temps ; le temps existe, est une réalité profonde. Dire que le temps est une succession d’instants dont aucun n’est encore là quand un autre se présente, ne mène donc pas, contrairement à St Augustin, à dire que le temps n’est rien, n’est qu’évanescence.
- Le problème c’est que Bergson dit à la fois que le temps est devenir et n’est pas quelque chose de » fixe » mais en éternel mouvement ; et que le temps » est « . Le temps est substantiel mais en devenir. C’est un devenir substantiel : c’est ce qu’il nomme la durée.
- Justification et approfondissement de sa thèse. Question : que mesurent alors les mathématiques ? Sous- question : ne peuvent-elles en appréhender au moins un aspect ?
Nous savions bien, depuis nos années de collège, que la durée se mesure par la trajectoire d’un mobile et que le temps mathématique est une ligne ; mais nous n’avions pas encore remarqué que cette opération tranche radicalement sur toutes les autres opérations de mesure, car elle ne s’accomplit pas sur un aspect représentatif de ce qu’on veut mesurer, mais sur quelque chose qui l’exclut.
La ligne qu’on mesure est immobile, le temps est mobilité.
La ligne est du tout fait, le temps est ce qui se fait et même ce qui fait que tout se fait.
Jamais la mesure du temps ne porte sur la durée en tant que durée : on compte seulement un certain nombre d’extrémités d’intervalles ou de moments, i.e., en somme, des arrêts virtuels du temps.
Poser qu’un événement se produira au bout d’un temps t, c’est simplement exprimer qu’on aura compté, d’ici là, un nombre t de simultanéité d’un certain genre.
- Forme argumentative :
B. fait ici une sorte d’autobiographie intellectuelle, comme Descartes au début des Méditations. C’est évidemment purement imaginaire : c’est un parcours typiquement philosophique, il s’agit de sortir de l’opinion (caverne) et d’aboutir au savoir. Dans l’enfance, tout comme le sens commun (cf. fin texte), il croyait à la réalité du » temps » mathématique, celui des montres ou de la physique mathématique.
- B. nous dit donc ici de façon plus précise ce qu’est le temps mathématique, en nous montrant ce qu’il saisit réellement (quel est le référent …?).
Définition temps mathématique : une ligne. Caractéristiques : immobile, inerte ; du tout fait : pas ordre du devenir, de ce qui se fait (cf. simultanéité).
A partir de là, B. va montrer que ce que saisissent les math, quand croient mesurer le temps, ce n’est pas du temps, mais de l’espace. Il le montre de deux manières :
- En montrant d’abord à quoi s’applique la mesure : (note : on mesure la trajectoire d’un mobile) La mesure s’applique donc à des grandeurs d’ordre spatial. La mesure est donc une opération qui suppose que l’on superpose un certain nombres d’objets, un certain nombre de fois. Distinction sous-entendue par Bergson : trajectoire et trajet (le temps c’est le trajet, ce qui passe, ce qui devient, ce qui se meut). La trajectoire, ce sont les arrêts (virtuels) du trajet, les étapes. Or, je ne peux pas diviser le trajet, car c’est un mouvement continu, un tout indivisible. Je peux diviser la trajectoire en autant de parties que je le désire. Mais alors, ce n’est plus le mouvement que je mesure, c’est sa trace spatiale. (Argument de Zénon selon lequel on ne peut recomposer le mouvement à partir de l’immobilité).
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