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Sujet Philosophie Bac L – Annale philosophie 2017 – Corrigé – Sujet 3 – Philosophie · Terminale

3e sujet

Expliquez le texte suivant :

Un auteur célèbre1, calculant les biens et les maux de la vie humaine et comparant les deux sommes, a trouvé que la dernière surpassait l’autre de beaucoup et qu’à tout prendre la vie était pour l’homme un assez mauvais présent. Je ne suis point surpris de sa conclusion ; il a tiré tous ses raisonnements de la constitution de l’homme Civil : s’il fût remonté jusqu’à l’homme Naturel, on peut juger qu’il eût trouvé des résultats très différents, qu’il eût aperçu que l’homme n’a guère de maux que ceux qu’il s’est donnés lui-même, et que la Nature eût été justifiée. Ce n’est pas sans peine que nous sommes parvenus à nous rendre si malheureux. Quand d’un côté l’on considère les immenses travaux des hommes, tant de Sciences approfondies, tant d’arts inventés ; tant de forces employées ; des abîmes comblés, des montagnes rasées, des rochers brisés, des fleuves rendus navigables, des terres défrichées, des lacs creusés, des marais desséchés, des bâtiments énormes élevés sur la terre, la mer couverte de Vaisseaux et de Matelots ; et que de l’autre on recherche avec un peu de méditation les vrais avantages qui ont résulté de tout cela pour le bonheur de l’espèce humaine, on ne peut qu’être frappé de l’étonnante disproportion qui règne entre ces choses, et déplorer l’aveuglement de l’homme qui, pour nourrir son fol orgueil et je ne sais quelle vaine admiration de lui-même, le fait courir avec ardeur après toutes les misères dont il est susceptible et que la bienfaisante nature avait pris soin d’écarter de lui.

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ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755.

1 un auteur célèbre : il s’agit de Maupertuis, philosophe et mathématicien (1698-1759).

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

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Astuce

Dans cette introduction, en plus de présenter le thème et la thèse du texte, on essaie de dégager les enjeux de cette approche du bonheur.

Si l’on fait le constat de la difficulté, voire de l’impossibilité pour les hommes d’atteindre le bonheur, il est légitime de s’interroger ensuite sur la cause de cet état de fait. Est-ce en raison d’une incapacité propre à la nature humaine que l’homme ne peut vivre heureux et en paix ? Le penser serait condamner l’homme à un malheur inévitable. Mais n’y a-t-il pas des causes plus contingentes à l’agitation et à la souffrance humaines ? C’est ce que Rousseau essaie de montrer ici, en s’opposant à la thèse adverse de Maupertuis. Alors que pour Maupertuis, l’homme est par essence voué au malheur, Rousseau soutient au contraire que la nature prédispose l’homme au bonheur, et que c’est lui-même, par son éloignement d’avec la nature, qui est l’artisan de son malheur. Il articule son raisonnement en trois temps. Tout d’abord, Rousseau présente et critique la thèse de Maupertuis et lui oppose sa propre thèse. Celle-ci est soutenue dans la suite du texte par l’exposition d’un paradoxe. En effet, dans un deuxième temps, à partir de « Ce n’est pas sans peine », Rousseau décrit l’étendue des actions humaines et de leurs prouesses techniques, sources du malheur des hommes. Puis, à partir de « et que de l’autre on recherche », il souligne l’absurdité de ce comportement auquel les hommes sont conduits par leur aveuglement et leur orgueil.

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Astuce

Les définitions sont très importantes dans l’explication de texte. Elles permettent de conceptualiser les thèmes abordés, tout en évitant la paraphrase. Ici, il faut cerner la conception du bonheur de Maupertuis, qui repose sur le calcul, et se demander dans quelle mesure Rousseau l’accepte.

L’approche du bonheur que propose Maupertuis repose sur un calcul. Plutôt que de définir le bonheur comme un état de plénitude ou d’intense satisfaction, Maupertuis propose au contraire de déterminer sa présence par le rapport entre les souffrances et les plaisirs. L’idée peut sembler étonnante, mais on la retrouvera chez les utilitaristes, et Rousseau lui-même l’adopte dans ce texte. Sa particularité ici est de prendre en compte non pas un moment précis de la vie mais la durée totale d’une existence : c’est bien l’ensemble des biens et des maux qu’il faut mettre sur la balance. Un immense bonheur pourra donc être annulé par une série de petits malheurs. Mais il semble que Maupertuis s’interroge moins sur la valeur d’une existence individuelle que sur celle de l’espèce humaine dans son ensemble. Son approche n’est pas existentielle ni psychologique ; il s’agit bien plutôt de se prononcer sur ce que vaut la vie humaine de manière générale. Sa réponse est d’un grand pessimisme : la vie humaine est un fardeau puisque les malheurs y sont plus nombreux que les plaisirs. Autrement dit, pour Maupertuis, elle ne vaut pas la peine d’être vécue.

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La réponse de Rousseau est double puisqu’il semble d’abord partager le pessimisme de Maupertuis : « je ne suis pas surpris ». Il faut comprendre par là que si l’on se base sur l’observation des hommes tels qu’ils nous entourent, les malheurs sont plus nombreux que les joies. Les guerres, les conflits, les catastrophes écologiques et les effondrements économiques du XXe et du XXIe siècle conforteraient Rousseau dans cette idée. Rousseau est donc partiellement d’accord avec Maupertuis. Pourtant, hors son accord sur cette analyse du monde qui les entoure, Rousseau est tout à fait en contradiction avec Maupertuis : selon celui-ci, c’est par nature que l’homme penche du côté des peines et des souffrances, et l’homme est donc poussé nécessairement du côté du malheur. En d’autres termes, le malheur est la condition humaine.

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Il est nécessaire ici d’expliquer la distinction que Rousseau fait entre l’homme civil et l’homme naturel. Pour cela, vos connaissances sont indispensables. Il ne s’agit pas pour autant de réciter votre cours mais les connaissances apportées par vos cours sont nécessaires à la compréhension de ce passage.

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À cela, Rousseau répond par une distinction qui lui est propre, celle de l’homme civil et de l’homme naturel. Rousseau pense en effet qu’il faut distinguer d’une part l’homme tel qu’il existe à l’état de nature, c’est-à-dire tel que la nature l’a fait et tel qu’il est avant d’être transformé par la société, et d’autre part l’homme façonné par la société, par la culture et par l’histoire. On ne peut se prononcer sur la nature humaine à partir de l’observation de l’homme en société puisque la société est par définition, selon Rousseau, ce qui s’éloigne de la nature. Ce n’est donc pas par une nécessité de la nature que la vie humaine connaît plus de malheurs que de bonheurs, mais du fait de la société qui pervertir le rapport de l’homme à la nature. Par nature au contraire, l’homme penche nettement du côté du bonheur. L’intérêt de Rousseau est de contredire l’approche essentialiste de Maupertuis par une approche historique, affirmant qu’il ne faut pas confondre ce qui relève de la nature humaine et ce qui relève de l’histoire de l’homme. C’est ce qui permet à Rousseau d’introduire alors sa thèse : l’homme est l’artisan de son malheur. En affirmant cela, Rousseau nie l’idée d’une fatalité du malheur et propose au contraire de rendre l’homme responsable de son destin.

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La difficulté de ce passage est qu’il se présente comme une longue énumération d’actions humaines. Il n’y a pas, explicitement du moins, d’apport conceptuel. Il faut donc trouver comment commenter et interpréter, et surtout éviter la paraphrase. Pour cela, il faut se demander à quelle idée implicite répond Rousseau et quelle est la fonction de cette énumération. On peut ainsi expliquer ce passage en le mettant en parallèle avec l’idée de Descartes selon laquelle l’homme doit maîtriser la nature, puis se demander quelle image de l’homme Rousseau cherche ici à produire.

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C’est avec ironie que Rousseau décrit cette fabrication par l’homme de son propre malheur, présentée comme une conquête (« parvenus ») difficile (« pas sans peine »). Rousseau insiste ici sur une caractéristique de l’homme, qui est la maîtrise de son environnement, maîtrise à la fois intellectuelle et technique. Ce qui distingue l’homme civil de l’homme naturel, c’est en effet également sa maîtrise de la science et de la technique qui modifie radicalement son rapport à la nature. Rousseau retrouve ici une idée de Descartes, qui, dans Le Discours de la méthode, estime que le propre des hommes est de se rendre « maîtres et possesseurs de la nature », mais il en inverse totalement l’interprétation. Pour Descartes, la maîtrise de la nature permet à l’homme d’améliorer ses conditions de vie et de préserver sa santé. Rousseau insiste au contraire sur la force déployée par l’homme et qui paraît ici similaire à la force désordonnée et destructrice qu’on peut prêter à la nature lors de catastrophes naturelles. C’est en effet le chamboulement et l’inversion de l’ordre naturel qui caractérisent l’action humaine : ce qui était plein est évidé, ce qui était haut est rabaissé, ce qui était humide est asséché. L’homme semble inverser le cours normal des choses. Alors que pour Descartes, la nature est désordonnée et l’homme est chargé de la remettre en ordre, Rousseau présente le tableau inverse.

Contrairement à Descartes, Rousseau ne présente pas les connaissances et actions humaines comme des moyens permettant d’atteindre des fins : il ne s’agit pas de faciliter le travail, d’augmenter la quantité de nourriture ni de prolonger l’espérance de vie. La longue énumération donne alors l’impression que les tentatives humaines pour transformer la nature sont dépourvues d’objectif, et elles nous paraissent d’autant plus absurdes et capricieuses qu’elles cherchent méthodiquement à produire l’inverse de ce que la nature a créé. Rousseau ne critique pas ici, comme il le fait ailleurs, le goût des hommes pour le luxe et pour l’accumulation de richesses, il ne présente pas la transformation de la nature comme la conséquence du désir de consommation des hommes. Ceux-ci semblent au contraire obéir à un désir de grandeur et de dépassement à la fois de la nature et d’eux-mêmes : c’est d’ailleurs bien cette sortie de la nature qui caractérise l’homme civil. Il y a donc ici une forme de démesure qui justifie la critique de Rousseau, mais dans laquelle on peut également voir la grandeur de l’homme. Ce qui le condamne cependant, ce n’est pas tant ce besoin de dépassement que le fait qu’il ne s’interroge pas sur la valeur de ce qu’il fait. La recherche de nouvelles connaissances et la transformation de la nature sont, au contraire, pour l’homme vivant en société, des évidences qu’il ne remet jamais en cause.

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Dans ce paragraphe, on cherche à expliquer la démarche de Rousseau, c’est-à-dire non seulement l’idée philosophique qu’il veut transmettre mais les étapes et raisons de son argumentation.

Or c’est cette absence de réflexion qui est la cause de son malheur. Ironiquement, Rousseau montre que l’homme sorti de l’état de nature, qui se veut civilisé, conscient de lui-même et doté d’un esprit d’abstraction, est en fait incapable de réfléchir sur lui-même. Pour déterminer ce que vaut l’action humaine, Rousseau revient à la méthode du calcul, mettant en balance les biens et les maux. Cependant, pour qu’une telle évaluation soit possible, il faut choisir un critère commun. Conformément au thème de sa réflexion, c’est le critère du bonheur qui est retenu. En effet, on pourrait rechercher non pas ce que les actions humaines font pour le bonheur humain mais plutôt quels avantages économiques ou démographiques on peut en tirer. Si le critère du bonheur s’impose, c’est qu’il dépasse et englobe tous les autres : toutes les dimensions de l’action humaine, qu’il s’agisse de politique, de science, de technique, d’économie ou d’art, entrent en jeu pour favoriser ou, au contraire, empêcher le bonheur humain. Le terme de « disproportion » est important puisqu’il place explicitement la réflexion de Rousseau sous l’angle du calcul. Ce n’est pas une perspective morale qui est choisie ici, et qui pourrait plus facilement être remise en cause. Au contraire, Rousseau fait appel au bon sens, et plus encore à l’esprit intéressé de l’homme social qui veut toujours avoir plus que ce qu’il n’a déjà.

Ce décalage entre l’incroyable dépense d’énergie dont témoigne l’humanité d’une part, et d’autre part la quantité de désagréments et le peu de bonheur qu’elle en retire semble incompréhensible. Faut-il en conclure à la bêtise de l’être humain ? Rousseau propose une autre explication : c’est l’aveuglement et l’orgueil qui poussent l’homme dans cette voie.

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L’une des démarches de l’explication de texte consiste à relever les concepts autour desquels s’organise la réflexion de l’auteur, puis de les définir et de les analyser. Procéder ainsi permet d’éviter la paraphrase.

On peut penser que l’aveuglement se nourrit de l’orgueil. L’orgueil consiste ici à ne pas se contenter de la nature. Pour Rousseau, l’homme avait tout pour être heureux puisque la nature pourvoyait à tous ses besoins. Plus encore, elle lui épargnait toutes sortes de difficultés, auxquelles l’homme a finalement décidé de se confronter. On peut penser au fait que, selon Rousseau, l’homme à l’état de nature vit isolé et non en communauté : en changeant de mode de vie et en vivant avec ses semblables, il s’est exposé à de nombreuses sources de conflit. On peut voir dans cette volonté de ne pas se contenter de la nature une définition de l’être humain – ou, selon Rousseau, de l’homme tel qu’il existe dans la société. Cet hubris fait peut-être à la fois la grandeur et la perte de l’humanité.

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Définition

Hubris :

L’hubris désignait, pour les Grecs anciens, l’orgueil et la démesure des hommes.

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Quant à l’aveuglement, il provient d’un mauvais regard que l’homme porte sur ses réalisations : si l’homme changeait de perspective et d’échelle, et se préoccupait notamment du critère du bonheur, à la fois individuel et collectif, il lui serait évident que ses actions sont contre-productives.

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Vous pouvez ici montrer la résonnance du texte avec le monde contemporain, montrer que la pensée de l’auteur est utile pour comprendre notre siècle.

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Cette réflexion de Rousseau semble tout à fait applicable à notre modernité qui cherche à produire toujours plus d’objets technologiques, utiles ou agréables à court terme, mais déséquilibrant la nature et compromettant la survie humaine à moyen terme. Là encore, on peut y voir une forme de bêtise, ou bien comprendre l’aveuglement dans un deuxième sens : l’aveuglement humain vient peut également venir de ce que les hommes se refusent à voir ce qui s’oppose à leurs désirs immédiats.

Ce texte présente donc un mélange complexe d’optimisme et de pessimisme. La réflexion de Rousseau est optimiste dans la mesure où il estime que la nature de l’homme le prédispose au bonheur. Mais elle est également pessimiste puisque, selon Rousseau, la société conduit l’homme vers le malheur. Or sortir de la société et retourner à l’état de nature est impossible. Ce texte, encore très actuel, incite donc à reconsidérer les habitudes et les priorités humaines et à adopter un autre axe de réflexion : qu’est-ce qui est réellement bon pour les êtres humains ?

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